Pressentiment.
Il fit en sorte que tous sachent qu’il était rentré. Comme il l’avait prévu, le lendemain de ce retour, Maxime frappe à sa porte au prétexte qu’il a besoin de l’exemplaire du Gai Savoir qu’il lui a prêté au début de l’hiver.
Pendant que Maxime s’installe dans le fauteuil près de la fenêtre entrouverte, il s’empresse de le retrouver parmi d’autres volumes et après quelques minutes de silence, lui raconte son voyage, ses différents séjours. Il en vient à la raison centrale qui l’a amené à espérer cette visite.
Sans préambule, il lui fait part de son étonnement de l’avoir vu portraituré dans un dessin par Arroyo.
« - Je suis passé au musée de l’abbaye de Sainte-Croix pour voir une série de collages présentés jusqu’à la fin de l’été, lui dit-il
- Oui, j’ai remarqué les annonces. Il y a aussi des œuvres de Télémaque, me semble-t-il, répond Maxime avec détachement. »
Maxime n’aime pas parler de ces sujets avec lui ; il le sent mais ne comprend pas si c’est par ennui ou mépris à son égard.
« - C’est bien ça, une belle exposition, vous la verrez ? »
Maxime fixe quelque chose au loin derrière les vitres grises de la fenêtre et ne répond pas.
Il insiste.
« - Un collage m’a particulièrement intrigué, il date de 1976. Deux hommes y sont représentés et la façon dont l’un se tient avec fierté devant le mur jaune, m’a troublé, me donnant à penser que quelqu’un comme Louis pourrait être saisi ainsi. Par déduction, j’ai imaginé que l’autre, au nœud papillon discret ne pouvait être que vous, Maxime.
- C’est possible et même probable, lui répondit Maxime, j’ai croisé Arroyo à Berlin dans ces années là. D’ailleurs Louis y était aussi. Ils se connaissaient peu à ce moment-là. Arroyo, je l’ai revu plus tard à Tanger, en 1983 peut-être, je ne sais plus. Edouardo connaissait bien la ville. »
Interloqué, puis incrédule, il persévère tout en sentant que Maxime n’en a pas terminé.
« - Je ne parviens pas à oublier cette vision, poursuit-il, sans doute, le fait que les traits des personnages ne sont pas livrés mais remplacés par des taches de couleur. »
Maxime tourne le visage vers lui et le fixe jouissant un peu à l’avance de ce qu’il compte répondre.
« - Surtout quand on lit le titre : Parmi les peintres, je crois, lance-t-il faussement interrogateur.
- Mais vous connaissez cette œuvre, alors. Pourquoi me laissez-vous vous confier mes pensées alors que tout vous est familier ? »
Maxime sourit, le regarde et sort de son manteau, le cahier qui l’accompagne toujours. Des images y sont collées. Il lui montre l’une d’elles, sans doute découpée dans un journal de l’époque.
Arroyo, Louis et Maxime sont adossés à un mur, projettés contre la paroi par un flash trop puissant. Cadrés juste au dessous de l’épaule, les trois hommes regardent tous vers leur droite, vers un quatrième personnage dont seule l’épaule est visisble.
« - Ne me dites pas que c’est Élie !
- Je ne sais plus, c’est un pays lointain…, répond Maxime avec cette voix fatiguée dont il use quand il vous quitte. »
Il met son manteau, enfile ses gants, glisse le cahier et le livre dans sa poche. Deux doigts de sa main droite se posent sur sa joue, s’en éloignent d’un geste sec pour signifier la fin de la conversation. Il sort, sans doute en ricanant, se glissant dans la lumière électrique du soir désert.
« - Je reviendrai mardi, lance-t-il à quelques pas de la porte entrouverte. »
M.D. juillet 2011, La Rochelle