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Les chroniques /
Marguerite Dewandel

Didascalies pour quatre actes et quatre interprètes


Préambule 3

Ils ne sont plus ici.


Ils ont posé ça et là des objets et quittaient la place.
Pour eux, je voulais évoquer le Temps, en dire la trame, le rythme, la mesure, mais le vertige m’a pris. Il fallait faire un pas de côté, pratiquer le décalage, risquer les effets du « jetlag ». Debout, seul, je demeure.
Je parle face à vous, au centre du cercle blanc.
« Le temps n’existe pas. Il est une vue de l’esprit, ma main ne le saisit pas. J’ai vu un homme debout isolé dans sa cage de verre. J’ai regardé des os, imaginé ce squelette couché sur un lit de sable, indice quand il ne reste presque rien de notre appartenance à une espèce. On me dit que cela est de pâte, de cette pâte qui nous nourrit depuis longtemps. J’imagine cet homme errant pour recueillir des graines, en faire de la farine et pétrir la pâte pour un repas qui ne nourrira personne ; geste de survie, geste d’un rituel obscur.  »
Arrêter tout.
Je glisse, marche lentement vers le fond de la scène, plaque mon poing fermé contre le mur.
« Il faudra pourtant avoir des certitudes, au moins organiser ses doutes en des programmes maîtrisés. Il faudra toucher ces couleurs ; il faudra contraindre ma main.
Il faudra sentir la peau. Cette attitude deviendra la forme, la mesure deviendra le temps.
 »
Seul, couché, mort.
Je m’étends blanc contre le mur blanc, gisant posé sur la ligne du temps.
« J’accepte mon état, je refuse l’effroyable simulacre d’un vivant artificiel, la mise en scène de la restitution des corps. »
Un chien noir, empaillé, traverse le cercle. Je m’éteins, je vous quitte.
Tout ceci parle de nous - impossible neutralité ; l’indifférence feinte n’est pas de mise.
Il s’agit de comprendre, de maîtriser, d’archiver. Nous pourrons traverser la scène, vivre ce cycle, être celui qui s’interroge.

M.D, février 2007
Préface, « Jetlag », le poctb, 2007