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Les chroniques /
Marguerite Dewandel

Le passé est un pays lointain


in LA TABLE AU NOIR, 2015, La Cage de l’Ombre Forte / département édition

Monsieur Ker m’avait beaucoup parlé de lui si bien que j’avais l’impression de le connaître un peu. Je le rencontrais rarement mais pensais souvent à lui en m’appuyant sur les souvenirs mêlés de tous ceux qu’il avait côtoyés.
Quand nous apprîmes sa disparition inexpliquée, nous fûmes troublés par la persistance de son image flottante, insaisissable et obsédante. Souvent, je me sens observé par un regard fixe, un corps immobile - un personnage silencieux et inoubliable qui suscite en moi une attraction déraisonnable.
J’entends qu’ils sont tous sans nouvelles malgré les recherches de certains d’entre eux.

2012
Elle s’arrête toujours devant la maison qui, depuis quelque temps, est abandonnée. Elle a de la peine en constatant que chaque jour un peu plus, la façade devient sale et les volets rouillés. L. et S. n’habitent plus là depuis 1998 et les trois autres ont disparu sans laisser le moindre indice sur leur lieu de destination. Enfin, lui en tout cas ne sait rien. Il faudra qu’il en parle à B. (1).

(1) Chaque vendredi, B. traverse le marché aux livres d’occasion. En 2006, il acheta un cahier dans lequel des photos annotées étaient collées.
Il y découvrit ce poème :
Offrandes
Pour celui qui repose au creux des souvenirs inventés,
une pelouse noire contre le mur chaud.
Pour lui dont on prononce le nom doucement avec des précautions obscures,
le chant de mille oiseaux dans les bambous fleuris.
Pour l’absent, des larmes comme une pluie d’étoiles déchues.
Pour l’autre, l’ange de la perte, irrémédiable et fondatrice, l’ombre d’un chien craintif.
Pour celui qui incarne le manque, le précaire, le fragile,
le bloc lourd d’un socle vide.
M.D, août 97


Êtes-vous certain de ce que vous me racontez ?
« Je ne sais plus, le passé est un pays lointain », répondit-il avec cette voix fatiguée dont il use quand il vous quitte.


Mars 2012 / août 2015