En octobre, il quitta la France pour vivre à Londres.
> Saint Marcouf
Quand il arriva sur Gordon Square, il réalisa que son départ soudain ne serait pas compris. Pourquoi ce silence tranchant, ce geste brusque qui lui fait passer la porte du salon, atteindre le vestibule, attraper son manteau et quitter la maison ? Il n’est pas entré dans son bureau prendre quelques dossiers, dans sa chambre rassembler quelques vêtements. Non, juste son manteau, ses papiers, son téléphone. Il doit convenir que personne ne l’a poursuivi pour le retenir. Sans doute n’en ont-ils pas eu le temps. Peut-être...
L’urgence le précipite dans la cour dont les pavés mal joints et couverts de mousse verdâtre l’empêchent de courir. Sa voiture roule rapidement dans l’ombre des peupliers qui bordent l’eau et franchit la lourde porte que plus personne ne ferme : trop lourde, trop vieille, inutile...
> Londres, Gordon Square
Le voilà déjà à Saint Pancras puis chez Léo qui n’aime pas être dérangé sans avoir été prévenu longtemps à l’avance ; le temps de se préparer. Pourtant quand Maxime lui annonce qu’il logera chez lui le temps de trouver un pied-à-terre, Léo n’a pas le choix. S’opposer aux décisions de Maxime n’est pas aisé et Léo n’est pas très en forme.
Les trois conférences qu’il doit donner en Écosse, en février, ne sont même pas ébauchées. La maison d’édition est vulnérable et sa femme va plus mal. Après tout, avoir Maxime auprès de lui fera diversion et avec lui il pourra encore croire que les conversations du jeudi ne sont pas oubliées. Il lui proposera la chambre du troisième étage, celle qu’occupait Thoby.
> Pourquoi ?
Mais Maxime n’est pas enclin à converser, il attend autre chose. Après s’être installé sommairement, il dit enfin à Léo la raison de sa présence ici à Londres, pourquoi il ne l’a pas prévenu et pourquoi il pense rester quelques temps. Il lui parle d’abord de la lettre reçue à Saint Marcouf, le jour où Élie donnait sa fête ; de son contenu, de l’effondrement de son histoire personnelle et de tous les repères élaborés depuis des années, anéantis, des faux souvenirs, des admi- rations maintenant inopportunes et de l’image maternelle tellement fragilisée.
Il sait qu’il aura besoin de temps, de solitude, de dépaysement pour élaborer une nouvelle histoire.
Marguerite Dewandel, décembre 2012